J’ai eu une hésitation, la main suspendue au-dessus du sac, au moment de vider le contenu de la petite boîte en bois.
“Tu ne vas quand-même pas jeter du sable et des coquillages à la poubelle ?! Ils vont brûler au milieu de tes déchets ! Ce n’est pas la fin qu’ils méritent !“
J’ai eu la pensée fusée d’aller déverser le contenu de la boîte dans mon jardin, mais j’ai pensé qu’ils risquaient de ressurgir à l’improviste.
Alors je l’ai fait, je les ai mis à la poubelle.
Je m’étais fait un “océan de poche“, au retour de mon voyage avec lui. J’avais envie de garder gravé dans ma mémoire le souvenir de ce voyage merveilleux, et je me disais que cet océan de poche, dans ma salle de bain, me permettrait de me souvenir.
Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie de voir ce bout d’océan chaque fois que j’entre dans ma salle de bain. C’est pas que je n’ai plus envie de m’en souvenir, de toutes manières je crois que je ne l’oublierai jamais ce voyage. La découverte de l’océan, la découverte d’un homme hors normes, la découverte d’une Aurélie ultra vivante. La communion entre nous, avec la nature, avec les éléments. Les journées qui s’écoulent, toutes plus surprenantes les unes que les autres.
Je viens de finir Tout le bleu du ciel, et leur voyage me fait penser à notre voyage, leur découverte l’un de l’autre, ces rencontres improbables qui sont pour moi produites par ceux qui jouent avec les fils de nos vies depuis l’au-delà.
Je l’avais rencontré dans une clinique psychiatrique. Nous étions tous les deux hospitalisés. (Oui j’ai traversé deux séjours en psychiatrie au cours de ma vie.) Lui avait essayé de mettre fin à ses jours et moi je m’étais écroulée. C’était une rencontre improbable. Très improbable.
C’était aussi très improbable de commencer une histoire d’amour avec un suicidaire. Ou alors de la folie. Mais nous étions deux fous : ce ne sont pas les fous qui sont en psychiatrie ?!
Pourtant, notre amour m’a permis de revenir lentement à la vie, il m’a permis de me régénérer sur le plan psychique, physique, et sur un plan très subtile.
Accoster dans son monde, découvrir le silence et une vue sur la réalité que je n’avais jamais eue.
Au bout d’un temps, il a choisi de repartir dans sa “twilight zone“ comme il l’appelait.
Était-ce vraiment un choix ? je ne le sais pas…
En tous cas moi, ce matin, j’ai fait le choix de jeter mon océan de poche à la poubelle, parce que c’est trop dur de le voir tous les jours. Et pourtant je ne veux pas oublier, je ne veux surtout pas oublier l’être que j’étais, si heureuse, dans une complétude. Je ne veux surtout pas oublier que c’est possible.
Et en même temps je ne veux pas avoir à accueillir chaque fois que j’entre dans ma salle de bain l’être en moi qui pleure cette séparation.
Oui, il y a un être en moi qui croit à cette séparation.
« Tu ne vas pas croire à cette petite mort ? » me demanderait Rumi, rieur.
Mais oui, il y a un être, peut-être même plusieurs, qui y croit et qui pleure souvent. Je l’accueille encore et encore avec l’espoir qu’un jour ça passera… Non pas parce que j’aurai rencontré quelqu’un d’autre et que j’aurai tourné la page, mais parce que je serai dans un espace qui sait que la séparation est une illusion.
Et puis ce matin il y avait aussi de la rage d’avoir perdu cette âme sœur et toutes les autres. Il y a un être en moi qui trouve ça salaud. Et qui voulait par cet acte tranchant comme un sabre, mettre l’océan à la poubelle, dire stop à cette série noire.
Voilà, elle aussi elle croit à la séparation et elle n’est pas encore dans un espace de gratitude pour toutes les expériences de ma vie.
J’y suis déjà, des fois, mais pas à chaque fois que j’entre dans ma salle de bain.
Je voyais tout ça, j’étais dans l’accueil et j’étais présente à moi du mieux que je pouvais.
Voilà ce qui se tramait ce matin dans mon intériorité et dans ma salle de bain…